vendredi 2 octobre 2009

Marrakech Chronicles (1): Crédit berbère et prix démocratique

3ème jour du séjour. Les deux soirées précédentes ont été alcoolisées, comiques, violentes, épiques…

Après un réveil tardif et un petit déjeuner pépère à proximité de la piscine, une petite excursion en ville s’organise avec StarSky, AnthoBB et kasskara. Tout le monde ignore encore que quelques heures plus tard, celui-ci deviendra pour toujours kasskafish.

Le trip débute de manière extrêmement balla puisque nous décidons, au prix de quelques dizaines de dirhams supplémentaires, de faire le trajet hôtel / centre-ville en calèche au lieu du taxi. Quel bonheur de voyager sous les effluves mêlées des gaz d’échappement et des crottins accrochés à la queue des chevaux. Sans parler de la sérénité liée au fait d’être assis dans un vieux truc en bois des années 70 au milieu de dizaines de voitures respectant autant le code de la route que Big Blindé les 3-bets oop.



Quoiqu’il en soit, nous arrivons sans encombre et nous nous lançons confiants dans l’une des allées principales de la ville. Il faut savoir que quand on parle d’ « une des allées principales de la ville », cela correspond à peu près à la moitié de la largeur d’une rue en France. Les voitures ne s’y engouffrent donc pas et seules les mobylettes y slaloment à vive allure entre les passants. L’occasion pour AnthoBB de faire appel au bullet time à plusieurs reprises pour esquiver les apprentis Valentino Rossi…

En dehors de ce manque de sécurité, la promenade se passe bien : on s’arrête un instant devant un superbe tee-shirt de SpedrMan, le SpiderMan du bled ; on songe un instant à s’arrêter manger chez Birnard Loiseau ; on constate que le poisson présenté sur les étalages doit être d’une qualité exceptionnelle pour qu’autant de mouches s’affairent à le gouter…etc. Bref, tout se passe pour le mieux jusqu’à ce qu’un nouvel individu fasse son apparition. Ne connaissant pas son nom, je vais le nommer Momohammed pour la suite du récit.

Quand on se promène dans les rues de Marrakech, on se fait à peu près arrêter tous les 20 mètres par un commerçant ou l’un de ses rabatteurs : c’est inévitable. Avec Momohammed, tout prend une autre dimension. Agé à vue de nez d’une petite cinquantaine d’années, le bougre ne quitte jamais son vélo (à côté duquel il marche). Pourquoi se promener avec son vélo ? Sans doute pour que ces fishs de touristes ne puissent jamais s’enfuir…

La première fois qu’on l’a croisé, il nous a simplement indiqué qu’il connaissait une superbe boutique qu’on aimerait surement beaucoup. Rien d’exceptionnel à ce stade et nous avons tranquillement continué notre chemin. 10 minutes plus tard, en me retournant pour éviter une mobylette enfourchée par deux grosses mamas, je me rends compte qu’il est juste derrière nous et nous a vraisemblablement suivis depuis tout à l’heure. On s’arrête donc, il s’arrête également. On redémarre, il redémarre. Le doute n’est plus permis : nous sommes suivis, traqués, épiés sans vergogne. Peut-être est-il juste intéressé par les dizaines de grammes de coke avec lesquels AnthoBB se balade. Peut-être a-t-il identifié en kasskara un fish potentiel. Eh bien non, il persiste à nous vanter les mérites de cette fameuse boutique et rappelle la route qui y mène : à droite, puis à gauche, puis à droite, encore à droite, tout droit, à gauche, à droite, tout droit, à gauche, à gauche…et ainsi de suite sans que l’on entende jamais la fin.

De longues minutes vont continuer de s’écouler et chacun de nos pas sera suivi de ceux de Momohammed, son vélo à la main. AnthoBB cherchera bien à le dissuader de nous suivre. Sans succès. Kasskara et moi-même nous cacherons derrière une fourgonnette. Nouvel échec. Il constate bien que nous cherchons à le semer, nous cachons, l’invectivons…Il n’en a cure, le bougre est coriace.

C’est alors que va intervenir l’arme ultime, la solution sans faille, le dernier recours : kasskara. C’est le plus grand d’entre nous et il en a un peu marre de nous voir galérer. Résultat : « Bon, arrêtez vos conneries les gars, j’en ai ras le cul. Laissez-moi faire, vous allez voir comment ça se passe ». Et le voilà qui s’arme d’une pièce de 2 euros et se dirige avec assurance vers Momohammed, lequel se trouve à ce moment précis de l’autre côté de la rue (en mode furtif pense-t-il).

La négociation va durer plusieurs minutes. Durant tout ce temps, StarSky, AnthoBB et moi nous tenons relativement à distance pour assister à la scène. Le discours de kasskara semble suffisamment musclé pour que Momohammed comprenne. Au final pourtant, nous reprenons la route derrière kasskara et son nouvel ami. Aucune explication de la part de kasskara qui manifestement a mené de main de maître la négociation :
- il perd 2 euros
- on suit Momohammed jusqu’à sa boutique
- il gagne un nouvel ami puisque sur le trajet (qui durera presque 30 minutes) les deux compères ne se quitteront plus et marcheront une dizaine de mètres devant nous.

Concernant le trajet justement, Momohammed ne nous avait pas menti : à droite, puis à gauche, puis à droite, encore à droite, tout droit, à gauche, à droite, tout droit, à gauche, à gauche…et ainsi de suite durant presque 30 minutes. Un vrai labyrinthe fait de toutes petites rues étroites qui zigzaguent sans fin. A l’approche d’un passage particulièrement sombre et inquiétant, l’hypothèse d’un guet-apens nous traverse l’esprit. Nous laisserons même kasskara partir seul quelques instants avant de nous assurer qu’il ne pousse aucun cri et de pouvoir reprendre la route.

Sur le chemin, kasskara nous explique que Momohammed lui a garanti qu’il pourrait trouver le narguilé qu’il recherche depuis ce matin. Nous arrivons enfin devant une espèce de grand terrain vague où quelques ouvriers s’affairent autour de grands puits. L’endroit est d’une puanteur sans nom et Mohammed nous présente à un guide qui va nous faire la visite de cette espèce d’usine à ciel ouvert. Grand moment d’incompréhension puisqu’on a rien demandé de tel. Le guide en question nous tend quelques feuilles de menthe en nous expliquant qu’il s’agit du masque à gaz berbère. Compte tenu de l’odeur épouvantable qui se dégage de l’endroit, on se marre deux secondes sur cette histoire de masque à gaz mais on présente vite les feuilles de menthe devant nos narines pour éviter un drame olfactif. Le guide nous explique en quelques minutes le processus de fabrication et nous suggère vivement d’aller faire des photos. Etant donné le spectacle tout moche qui se trouve devant nos yeux, on refuse poliment et kasskara retrouve un instant de lucidité pour expliquer qu’il veut voir la boutique. Aussitôt demandé aussitôt fait, celle-ci se trouve à quelques mètres de là, dans le quartier le plus paumé de toute la ville.

Alors que l’on entre tout en continuant de se foutre discrètement de la gueule de kasskara, deux choses frappent aux yeux :
- impossible de trouver un narguilé dans cette boutique composée de 2 petites pièces, l’une consacrée aux sacs et l’autre aux poufs et aux tapis.
- dans la première pièce se trouve un couple de touristes occidentaux. Ils sont agenouillés sur un tapis et font face à un vendeur lui-même agenouillé. Entre eux est disposé un service à thé. A leur regard on devine aisément qu’ils se sont mis dans cette situation comme des fishs. Si leurs yeux pouvaient parler, nul doute qu’ils nous diraient : « Fuyez pendant qu’il en est encore temps ! Pour nous il est trop tard, mais vous avez encore une chance ! ».

Malheureusement kasskara et AnthoBB ont déjà fait quelques pas de trop et le propriétaire du magasin nous installe dans la petite pièce où se trouvent les tapis et les poufs (je parle de vrais poufs, pas de StarSky). Bien entendu personne ne se permet de lui rappeler que c’est un narguilé que nous cherchons. Nous voilà assis tous les 4 dans un canapé, prêts à tout apprendre des processus de fabrication et de l’artisanat local. Evidemment il nous est impossible de discuter entre nous de la situation imprévue dans laquelle nous nous sommes fourrés. A partir de maintenant, tous nos échanges se feront à base de regards en coin et de fous rires masqués. Seule une chose viendra un peu améliorer le tableau : un succulent thé qui nous est offert et présenté comme étant « à 0% d’alcool whisky ». StarSky nous gratifiera alors de sa meilleure vanne du séjour en remerciant notre hôte pour son excellent thé au GHB.

Le patron appelle son assistant, lequel déploie un premier tapis au sol, puis un autre, et encore deux. Kasskara se lève et fait manifestement mine de s’y intéresser. Il les touche un par un, le regard sérieux. Je jète un œil sur ma droite à AnthoBB qui ne peut réprimer un gloussement. J’en laisse échapper un à mon tour et me dis qu’on ne pourra jamais tenir. Le patron me jette un regard circonspect mais je ne peux m’enlever le gros sourire niais que j’ai sur le visage. Kasskara continue quant à lui son grand numéro de spécialiste des tapis en tous genres.

Sur de son read, le gérant de la boutique raise en dévoilant maintenant ses plus beaux poufs. Cuir de chameau, de bébé chameau, de chèvre…ocre, noir, multicolore…On nous demande lesquels nous intéresse. StarSky et moi-même confions que nous sommes simplement venus accompagner nos deux compères, qui eux en revanche sont très intéressés pour en offrir à leur maman. Ils ne peuvent qu’acquiescer et choisissent donc chacun un des rares modèles de bon goût, c’est-à-dire noir.

Une éternité s’est déjà écoulée quand vient le moment de l’annonce du prix. AnthoBB me souffle ne pas vouloir mettre plus de 40 euros pour son pouf. Cruelle désillusion quand le vendeur se munit d’un petit papier et d’un crayon, écrit une proposition de prix et la tend à kasskara : 6 800 dirhams, soit plus de 600 euros. L’embarras est palpable et notre ami s’attelle rapidement à un nouveau rôle de composition : celui du petit étudiant fauché qui est venu au Maroc uniquement parce qu’il était invité. Il propose donc de n’acheter finalement qu’un pouf, et non plus 3 tapis et 2 poufs comme le patron de la boutique l’avait manifestement compris. Ce dernier a cependant du répondant et sort l’un de ses meilleurs atouts : le « prix démocratique ». Le concept peut paraître alléchant, il n’est en réalité qu’une entourloupe visant à négocier le prix en écrivant chacun son tour une proposition sur un petit bout de papier. A ce petit jeu, le vendeur propose toujours le prix maximum qu’il espère tirer. En revanche il demande à l’acheteur d’arrêter le prix maximum qu’il est prêt à consentir. La manœuvre n’est donc que rarement dans l’intérêt de l’acheteur. Kasskara, qui n’est pas né de la dernière pluie, ne s’en laisse donc pas compter.

Vient alors l’arme fatale du vendeur local : le « crédit berbère ». Impassible, celui-ci nous explique : « Tu connais le crédit berbère ? Je te le fais si tu veux. Facile : tu paies la moitié maintenant et la moitié à la sortie du magasin ».


La négociation durera encore de longues minutes et se conclura finalement par l’achat d’un pouf pour kasskara et d’un autre pour AnthoBB. Ce dernier se révélera d’ailleurs particulièrement efficace puisqu’il obtiendra en quelques minutes, en menaçant de partir sur le champ, une baisse de 160 à 50 euros. De quoi d’ailleurs soulever des doutes chez kasskara quant à la réussite de sa propre négociation. La légende de kasskafish était née…

14 commentaires:

  1. Pfouarf. 50€ il doit pas en trouver souvent des comme ça.

    Sinon je constate simplement qu'il est dur le métier de juriste :

    "Publié par SuperCaddy à 10h42" ...

    RépondreSupprimer
  2. Bravo, un vrai talent de conteur

    RépondreSupprimer
  3. Oh putain juste énorme je me suis marré tout le long du truc.
    Tu racontes vraiment trop bien :D Moooaaaar!

    RépondreSupprimer
  4. j'ai ri...beaucoup

    VGG supersalo roi des salopards :D

    RépondreSupprimer
  5. une légende née, un porte-monnaie se vide !

    et la photo de Xewod ? :-D

    RépondreSupprimer
  6. Je me suis fait fisher de manière similaire lors de ma visite à Marrakech l'année dernière (la fabrique qui pue + la boutique a côté)

    J'ai apaisé les locaux en lui achetant des babouches. J'ai eu droit de gouter au pétard local avec les vieux qui squattaient devant le fronton.

    RépondreSupprimer
  7. Tiens c'est drôle ça. Le monde est petit :-)

    RépondreSupprimer

 
over-blog.com